En fait, comme pour le montage alterné semi-analepsique de Memento (Christopher Nolan, 2000), je note deux tendances principales qui, se rejoignant, créent un point charnière où les quêtes deviennent chiantes comme la mort - quoique nous, gamers, savons que mourir peut être fun.
D'un côté je note l'influence du MMORPG (j'y reviendrai) et la hausse des coûts de productions qui semble pousser les développeurs à simplifier et clarifier les choses pour atteindre un public large.
De l'autre, l'expérience du gamer féru de RPG qui, à 25 ans passés, n'a plus l'innocence de la découverte et voit facilement les ficelles de gameplay de ses jeux tant aimés (ou détestés).
Revenons au MMORPG. Dans les vieux titres, on faisait son XP à la coréenne, en bashant du streum répétitivement. Les quêtes étaient rares. Pour prendre l'exemple des débuts de DAoC, on avait les couriers quests, nous demandant d'amener un paquet à un PNJ dans une ville éloignée, qui rapportaient quelques piècettes; les kill tasks, qui demandaient à tuer un mob spécifique au milieu d'un troupeau d'autres mobs, plus payantes, rapportant de l'xp via les mobs tués, plus risquées aussi et dures à soloter; enfin les quêtes épiques qui obligeaient à former un groupe ou un raid de joueurs pour aller clean du donjon et défourailler de la grosse bête, récompensées par des pièces d'équipement et des compétences puissantes.
Avec Everquest et enfin WoW qui démocratisera le système, les quêtes deviennent omniprésentes: On bash toujours du streum, mais cette fois on est doublement récompensé pour, par un bonus d'XP, quelques objets et un peu de monnaie. Le questing de MMORPG a donc à la base pour but de rendre le grind moins chiant en agitant une petite carotte au bout d'un bâton pour le joueur. Et tout le monde sait que la carotte au bout du bâton, c'est la base du game design.
Seulement voilà, la carotte finit pa moisir, le bâton par pourrir, et en ce moment dans le MMORPG c'est à celui qui proposera les quêtes les plus variées, les plus scénarisées, les moins "Va tuer 12 ours enragés et tu auras une belle épée!"
Il suffit de voir que SWtOR en fait son cheval d'attaque, que GW2 compte aussi explorer cette voie, que fanbase de TCoS était là pour ça, que WoW tente de redresser la barre à ce niveau depuis WotLK...
Forts de cette expérience, abordons à présent le RPG solo.
Le RPG "à l'occidentale" d'abord, qui s'articule beaucoup sur les quêtes: Ils sont généralement articulés autour d'une quête principale, à laquelle des side quests viennent s'ajouter. Par exemple si on prend Baldur's Gate 2, on a la quête principale qui consiste à traquer Irenicus et en apprendre plus sur les origines et les pouvoirs du personnage principal. Cependant pour ce faire nous aurons d'abord besoin d'une certaine somme d'argent et de contacts, ce qui nous obligera à nous mêler des affaires d'un peu tout le monde pour remplir sa bourse et se forger une réputation. Nous sommes donc contraints par le scénario à effectuer des side quests, leur lien avec la quête principale étant généralement aussi ténu que "J'ai besoin d'argent FFS!"
Ceci dit, les Royaumes Oubliés ayant leur lot de sociétés secrètes et d'enjeux de pouvoir - notre personage étant lui-même parfois un de ces enjeux - on arrive à s'intéresser à ce qui se passe, notament par le biais des personnages. En effet chaque side quest sera l'occasion de recruter un nouveau personnage dans le groupe et, en développant des affinités avec ce dernier on débloquera alors d'autres side quests. Ainsi outre les récompenses de gameplay, on a des arcs scénaristiques en plus qui se révèlent, liant le gameplay au storytelling. Cependant il est à noter qu'à la base, le jeu nous force à nous impliquer dans ces errances d'une manière somme toute grossière, et il est difficile d'y couper.
Si je compare BG2 avec Dragon Age: Origins, son lointain descendant, force est de constater un certain appauvrissement. En fait, on a l'impression que le jeu s'est limité à un "acte 1 de BG2 du pauvre", dans lequel pour accomplir la quête principale on va devoir se taper le même schéma: Un HUB minimaliste dans lequel on va récupèrer les quêtes pour la zone (et une ou deux de plus qui amèneront à un autre HUB ou un event mineur sur la world map), et un donjon à clean où on fera du combat, du combat, une rencontre, du combat, une énigme, du combat, du combat, un boss, répèter ad nauséam. Pourtant, on pourrait en dire autant de Baldur's Gate; alors, qu'est-ce qui a changé? Comme je le disais au début de l'article, le joueur et les contraintes.
Pour faire un digne successeur de BG2 aujourd'hui, il faudrait énormément plus de liberté, des zones imbriquées et non séparées en hub-de-discussion/couloirs-de-combat, une foultitude de personnages secondaires, et aucune quête MMORPG à la "Puisque vous vous aventurez dans la forêt, rapportez-moi 6 herbes médicinales pour soigner mes chiens!": Tout devrait être sujet à une intrigue passionnante afin de cacher au maximum ces ficelles de gameplay qui ne sont que trop voyantes au joueur averti.
Peut-être alors, arrivant chez ces foutus nains, je m'intéresserait vraiment à ce qu'il se passe plutôt que de regretter amèrement de ne pas pouvoir tuer simplement les chefs des deux clans antagonistes et nommer moi-même le nouveau roi sous la menace des armes, ce qui serait bien moins compliqué que d'aller m'emmerder à explorer ces foutus Tréfonds pour le compte de l'un ou l'autre nabot alcoolique...
A présent je vais m'intéresser à d'autres perspectives, d'abord en abordant le RPG solo asiatique. Je laisse ici de côté les plus récents, aussi bons soient-ils, car ils subissent aussi l'influence du MMORPG et du RPG occidental (désolé Resonance of Fate, ce sera pour une autre fois). Ce qui m'intéresse là c'est que les quêtes dans ces jeux ne sont pas explicites. Ici pas de journal qui liste les quêtes à accomplir tel une liste de courses à barrer au gré de nos pérégrinations dans un supermarché. Pourtant comme tout RPG ils s'articulent autour d'une quête initiatique (voir le roman de chevalerie, notament Perceval le Gallois de Chrétien de Troyes), on retrouve donc le système quête principale et side quests. Seulement ici on est dans la scénarisation systématique, la quête principale étant intrinsèquement liée à la progression du scénario et des environnements de jeu, tandis que les side quests sont généralement totalement facultatives (même si, comme dans Chrono Trigger par exemple, elles peuvent être liées avec le scénario principal et avoir une influence sur ce dernier).
Ce qui est à noter dans cette approche de la quête, particulièrement des side quests, c'est qu'on glane une piste au petit-bonheur-la-chance et c'est au joueur d'en faire ce qu'il veut. C'est aussi l'occasion de varier le gameplay (le Gold Saucer et ses mini-jeux dans Final Fantasy VII) et d'explorer des lieux qui nous restaient jusques alors interdits, inconnus...
Je continue avec deux cas: Les séries Deus Ex et The Elder's Scrolls.
Dans la première on a une liberté d'approche liée à la personnification de notre avatar: Ici la quête principale comprend plusieurs objectifs, parfois facultatifs, parfois antagonistes, qui détermineront certains embranchements scénaristiques. Les side quests peuvent êtres indépendantes ou liées à la trame principale mais surtout, elles peuvent se résumer à des objectifs supplémentaires dans cette dernière.
Dans la seconde, on a des séries de quêtes toutes plus ou moins scénarisées, la quête principale ne devenant plus qu'une parmi tant d'autres (à l'exception qu'elle amène fatidiquement à la fin du jeu) toutes aussi intéressantes, laissant au joueur la liberté de faire ce qu'il veut de son personnage. Aussi dans Skyrim, on retrouve une floppée d'objectifs et de quêtes secondaires qui s'acquièrent de la même façon que dans un RPG asiatique, en écoutant les PNJ parler de la dernière rumeur du moment. La seule chose que je pourrait reprocher à ce système est qu'il ne propose que peu d'objectifs antagonistes et laisse peut-être trop de liberté pour vraiment caractériser proprement le personnage. Ainsi je peux être le champions d'une demi-douzaine de divintés daedriques qui ne peuvent pas se supporter entre eux, sans pour autant en avoir un qui me fait une remontrance quand je bosse pour l'autre. La seule questline demandant vraiment une prise de position est la revendication de Skyrim où l'on prend parti pour l'Empire ou pour les Stormcloack alors qu'il est clair que l'ennemi commun c'est ces empafés de Thalmor.
Pour finir dans les exemples et chercher des alternatives, je me tourne vers le jeu aux idées dantesques avortées (RaHaN, tes itw des frères Carter m'auront fait rêver...), Fable!
Ce jeu, à défaut d'être à la hauteur de ses ambitions, a saisi dans son concept l'essence du RPG: La quête initiatique transposée, gameplay parlant, en montée en puissance du héros.
Pourquoi le système de quêtes serait-il fautif? Parce qu'il n'y a pas besoin de quêtes, l'histoire d'un héros qui s'affirme est LA quête initiatique essentielle.
Après tout, un univers solide avec des choses à faire, des objectifs et des histoires qui viennent se greffer sur un background maîtrisé, dans lequel on fait évoluer un personnage au fil de ses choix, jusqu'à ce qu'il puisse accomplir de grandes choses qui changent la face du monde, c'est ça le RPG!
Aussi, une réelle ambition ne serait-elle pas de si bien habiller les objectifs de gameplay, avec un background et un storytelling crédible, que la progression dans le jeu se fait de manière naturelle et au fil de la progression du héros?
Doit-on obligatoirement avoir des quêtes découpées avec un suivi perceptible, doit-on savoir ce que nous devons faire avec une ligne de texte, doit-on voir quelles options sont à notre disposition avec des repères sur la map?
Imaginez par exemple Skyrim ou Deus Ex sans journal de quêtes.
Imaginez une histoire qui se construit, que vous ayez accompli ou manqué vos objectifs. Ce n'est que par vos décisions, votre sens de l'exploration, de l'opportunisme, vos choix, que vous devenez un personnage important de ce monde et que vous influez sur lui.
Un jeu dans lequel vous ne savez pas ce que vous avez à faire parce que c'est explicitement marqué mais parce que ça paraît naturel. Il y'a tant de façon d'orienter le joueur vers la suite du scénario implicitement: En ne pouvant accèder à certaines zones qu'avec des prérequis crédibles, par exemple, ou simplement en lui donnant envie d'aller dans un certain sens et d'accomplir certaines actions. Même si j'avais eu encore une tripotée de trucs intéressants à faire à Midgar et à Kalm, n'aurais-je pas eu l'envie, la motivation de traverser le marais du Zolom pour percer le mystère de l'homme tatoué à la cape noire?
Bref: Un background, un storytelling et une progression des personnages maîtrisés ne suffisent-ils pas à créer un bon RPG, sans s'encombrer de quêtes qui ne font que révèler les artifices du jeu?
Je vous laisse en discuter, car il y'a encore tant à explorer dans ce domaine!